Quelle drôle d’idée ! Nous aurions en effet pu choisir une croisière ou un voyage aux Baléares pour marquer l’évènement … Mais il nous a paru significatif de partir en action de grâce pour ces années passées, en choisissant de nous dépouiller un peu de notre confort habituel, et de vivre un temps de ressourcement spirituel entre paysages offerts par la nature, églises ou chapelles ouvertes et rencontres diverses.
Nous ne savions pas réellement combien de temps nous allions mettre et combien de kilomètres nous allions parcourir. Ces inconnues contribuaient à l’esprit dans lequel nous entamions notre pèlerinage. Nous avons marché 31 jours consécutifs et arpenté quasiment 1000 kilomètres de chemins et de routes dans une attitude de gratitude et de disponibilité.
Tout le long de notre pérégrination depuis notre domicile jusqu’à Lourdes, du 25 août au 25 septembre derniers, nous avons porté les intentions qui nous avaient été confiées par nos familles, amis, paroissiens et que nous avons déposées avec ferveur et émotion en arrivant à la grotte des Apparitions : remerciements, demandes de force pour traverser les épreuves, supplications de guérison, de réconciliation dans les couples et les familles, prière pour les défunts… Nous étions résolus à offrir nos efforts pour ceux et celles qui ne peuvent pas ou plus marcher. Comme nous disaient des amis arméniens, nous étions comme un chameau – mot qui a la même prononciation que pèlerinage dans leur langue – qui conduit au Seigneur les prières. Oui, comme cet animal emblématique de l’Épiphanie, avançant d’un pas régulier et déterminé, suivant l’étoile de Marie, chaque jour, inlassablement, nous énumérions avec foi et affection le prénom des personnes concernées. Fréquemment, nous ajoutions de nouvelles intentions, en particulier celles de personnes rencontrées sur le chemin et le nom de ceux qui nous hébergeaient. Nous avons expérimenté de manière merveilleuse que, durant les journées de marche, nous nous sentions portés par ceux que nous portions dans la prière. C’était déjà un miracle de Lourdes ! Nous avons puisé en eux la force d’aller de l’avant dans la fidélité à l’engagement pris, dans la bienveillance, dans l’enthousiasme, accueillant tout simplement chaque moment présent. « Hic et nunc », ici et maintenant, ont été des maîtres-mots nourrissants. Écouter le bruissement des feuilles au cœur d’une forêt ou la mélodie d’une rivière, s’émerveiller devant un lavoir fleuri ou un champ de tournesols souriants, cela semble si ordinaire, et pourtant nous avons éprouvé à quel point la contemplation est apaisante.
Quand d’aventure, nous n’étions non pas le chameau qui blatère mais celui qui déblatère contre son compagnon ou sa compagne de marche, un pas de pardon et de réconciliation a pu raffermir notre amour conjugal !
Nous avons réalisé que le Chemin, au sens du pèlerinage, est à l’image de notre vie. S’ensuivent des passages pittoresques et bucoliques, des sentiers rocailleux et pentus, des pistes interminables, des voies landaises sablonneuses où l’on s’enfonce…. à l’instar de notre quotidien pétri d’épisodes harmonieux où tout se déroule tranquillement, succédant à des jours de peine, d’inquiétude ou de souffrance. Dans tous les cas, nos bâtons, fidèles serviteurs, facilitaient le déplacement. Nous avons eu la grâce de partir chaque matin pleins d’ardeur et de confiance pour le jour nouveau en dépit de la répétition de l’activité. L’égrenage du chapelet, les cantiques entonnés ensemble, la méditation silencieuse en chemin ou dans les églises visitées, la prière des Heures, la louange ont cadencé notre périple.
Désireux de bifurquer vers le Berceau de Saint-Vincent-de-Paul pour incarner notre démarche solidaire avec l’association éponyme, nous avons quitté la voie balisée de Saint-Jacques-de-Compostelle et le GR 36 nord-sud. Quelle ne fut pas la surprise d’y trouver un couple dont le mari diacre, installant une exposition en lien avec le 60° anniversaire du diaconat, qui nous invita à réciter les Vêpres avant d’achever la journée les pieds sous leur table ! D’autres rencontres impromptues, telle celle de Édwige, qui comme nous se rafraîchissait les pieds à un torrent et qui manifesta une réelle joie à la proposition de faire un bout de chemin et de prier une dizaine du Rosaire ensemble. Ou encore Philippe, écrivain, auprès de qui nous nous enquérions de la proximité d’un café, et qui nous invita sans chichis chez lui ; quelques échanges d’ordre alimentaire d’abord, puis plus profonds, et il nous confia sa rupture conjugale après avoir déposé sur la table entre miel et thé un billet qui, évidemment, permit d’offrir un cierge à Lourdes : une tradition de piété populaire plutôt édifiante ! Nous avons également été comblés et reconnaissants par le crochet que des amis bretons – venant de fêter 40 ans de mariage et dont le mari est diacre – ont effectué pour nous rejoindre gaiement avec des ballons de couleur au terme de notre longue marche.
Nous réservions un hébergement un ou deux jours à l’avance, ce qui suffisait pour laisser place à un peu d’imprévu. Nous voulions nous épargner le carcan d’une organisation pesante rigide. Ainsi nous alternions entre logement confortable chez des connaissances ou particuliers accueillant généreusement sur le mode Donativo les pèlerins, dortoirs spartiates dans des haltes jacquaires, ou autres. Cela signifie que, même dans le détail de nos besoins élémentaires d’êtres humains, la vie ne nous appartient pas, et encore moins ce que nous croyons posséder : biens intérieurs et extérieurs, qui souvent nous rassurent plus qu’ils ne servent à la croissance de notre relation à notre prochain.
En bref, le pèlerinage n’a pas été affaire de « pas à pas » mais de « cœur à cœur ». Nous rendons grâce à Dieu d’avoir pu vivre des petits pas éclairés par la Sagesse de son amour immense de Père ! Nous formons le vœu que le chemin d’humilité de sainte Bernadette, la voyante de Lourdes soit le nôtre : « Je ne vous promets pas le bonheur en ce monde mais dans l’autre ».
Marie-Claude et Marc Bourgeon
31 décembre 2024